24 déc. 2010

Et de deux !

Et voilà, un deuxième Noël en Terre Adélie… Que demander de mieux comme cadeau ? Peut-être la présence de la famille et des amis, mais ça ne saurait tarder, les retrouvailles sont pour bientôt maintenant !

Je vous souhaite à tous un très joyeux Noël ! A ceux qui le passent en famille, comme à ceux qui sont éloignés de leurs proches.


A la Réunion vous fêtez Noël les pieds dans l’eau, en métropole c’est sous la neige… Ici c’est sous la neige et les pieds dans l’eau ! En effet, depuis plusieurs jours il fait bien gris avec un peu de neige, et les flaques se font de plus en plus nombreuses sur ce qu’il reste de banquise…

J’en profite pour remercier mon frère Damien et mes parents, qui tiennent fidèlement mon blog à jour depuis plus d’un an, et sans lesquels je ne pourrais pas partager autant avec vous. Merci !

A bientôt !

21 déc. 2010

Kenavo les copains !

Plusieurs semaines que nous l’attendions, plusieurs heures que nous le guettions dans le pack… L’Astrolabe est enfin arrivé à DDU, ce mercredi 15 décembre, un peu après midi. Le bateau rouge et bleu n’a pas changé, silhouette identique à celle qui a disparu de l’horizon, il y a près de 9.5 mois.

Arrivée de l’Astrolabe dans le chenal du Lion

Quelques jours pour décharger, recharger, et le voilà déjà reparti, 3 jours plus tard. Nous avons avec émotion dit au revoir à 8 de nos copains. Adrien, Claire, Didier, Gurvan, Jean-Paul, Jean-Pierre, Marie-France et Nicolas sont partis pour d’autres aventures. Une dernière soirée tous ensemble, quelques accolades, trois banderoles et de nombreuses paires de mains qui s’agitent. Difficile de tourner la page d’un an de vie ensemble. Difficile de décrire ce moment fort.
Parfois, les mots ne suffisent pas. Me reviennent déjà en mémoire des instants appartenant au passé.

Départ de R1

Pour faire passer l’amère pilule, l’Astro nous a apporté courrier et fruits frais. J’ai reçu un bon nombre de lettres et colis, envoyés pour R0 ou R1. Je remercie grandement tous les gens qui m’ont écrit. La famille, les copains, les inconnus, les peu connus, les écoles avec qui je corresponds… Entre les magazines, les photos, les films, les dessins, les cadeaux, friandises…je ne sais plus où donner de la tête ! Merci mille fois !

Nous nous régalons donc maintenant quotidiennement de kiwis, oranges, pommes, bananes, tomates… Quel bonheur de déguster des fruits et légumes frais ! Je ne pensais pas, un jour, savourer autant un simple kiwi.


J’allais oublier d’évoquer l’arrivée des « nouveaux »… Ça y est, la 61 est pratiquement au complet, et la 60 est en minorité ! Dur de laisser sa place, mais on s’en rend bien compte, notre époque est révolue, l’heure est à la 61… Tant de monde, tant de bruit, tant d’agitation, ont un peu raison de ma patience ces jours-ci. J’aspire à davantage de calme, de tranquillité. D’ici quelques jours, ça ira mieux je pense. Il faut de toute façon s’y habituer...


Avant l’arrivée de l’Astro, nous avions décidé, un dimanche ensoleillé et sans vent, de … nous baigner ! Eh oui, n’oublions pas que c’est l’été, ici. Depuis le temps que nous en parlions… Dans une eau à -1.5°C, nous sommes donc une petite vingtaine à nous être trempés, quelques secondes seulement. Il faut dire qu’elle n’est quand-même pas chaude… Mais l’expérience vaut vraiment le coup !

Baignade antarctique, avec la glace en arrière-plan, car certains ne me croient pas ;)…

Concernant les empereurs, la plus grande partie de la manchotière se situe maintenant sur le glacier. Décidément, ces empereurs nous surprendront toujours ! Là, ils ont bravé crevasses et dénivelé, avec leurs poussins, pour nous prendre de haut…

Les empereurs, hauts perchés


Poussin en mue

Détail du duvet d’un poussin n’ayant pas encore mué

Pattes de poussin empereur

J’ai également eu la chance de pouvoir observer, à plusieurs reprises, des empereurs immatures. L’année dernière je n’en avais pas vu, je suis donc cette année ravie. Les immatures, plus tout à fait poussins, pas encore adultes, ne sont pas encore aptes à se reproduire. Ils ont la taille d’un adulte, mais ne sont pas (ou très peu) colorés… Ils passent en fin de saison, pour voir comment ça se passe…

Immature empereur

Poussin en fin de mue (à gauche), adulte (au milieu) et immature (à droite)

Le premier poussin Adélie a été vu en fin de semaine dernière. Nul doute que les premiers sont nés quelques jours avant, mais il faut dire que les petits restent pour le moment bien cachés dans la poche incubatrice de leurs parents, faisant leurs timides…

Adélie couvant ses deux œufs



Les autres oiseaux commencent également à pondre, la saison de reproduction bat son plein.


C’est l’été, donc les mousses foisonnent à divers endroits. Encore quelque chose à laquelle je n’avais pas prêté attention l’été dernier, mais qui prend davantage de sens après un hiver sans végétation…


Côté météo, de petites surprises… Ainsi, la base a été dans le brouillard le jour de l’arrivée du bateau, évènement rarissime à DDU. Plutôt déstabilisant, pour nous qui ne sommes plus habitués à tant d’humidité… Les bergs prennent alors des allures fantomatiques… Les températures également se font remarquer, avec une pointe à +8.2°C, chose très rare… Vous qui avez froid en métropole, vous nous enviez, non ? Bon, avec de telles températures, la neige fond, et la banquise se recouvre de flaques d’eau, devenant de moins en moins praticable… Je profite donc au maximum de ces derniers instants à pouvoir marcher sur la mer…


Le brouillard arrivant sur l’île

Je ne me sens pas du tout si proche de Noël. Pourtant nous avons décoré le séjour, fait un sapin… Mais nous sommes tellement déconnectés de toute la communication qui est faite autour de cet évènement, que l’on pourrait aussi bien me dire que l’on fête bientôt Pâques, ça ne m’étonnerait pas… Eh non, c’est pourtant mon deuxième Noël parmi les manchots, déjà…

Idée reçue n°17 : En antarctique, il y a des expéditions en traineau à chiens.

Ceux qui ont bien suivi me diront : « Ah ça, c’est forcément vrai ! Je me souviens de l’idée reçue n°10, et de l’histoire d’Amundsen, qui a atteint le pôle sud en 1911, accompagné de ses chiens de traineaux ! ». Maints explorateurs ou sportifs ont en effet fait des raids en traineaux à chiens en Antarctique, voire en poneys (rappelez-vous la triste histoire de Scott…). Mais encore une fois, ce qui était vrai il y a quelques années, ne l’est plus maintenant… Aujourd’hui, excepté l’homme, aucun animal ou végétal vivant ne peut pénétrer en Antarctique. Laissez-moi vous expliquer pourquoi…

Nous nous étions arrêtés la dernière fois au Traité sur l’Antarctique. Vous vous rappelez : signé en 1959, il repose sur un gel des revendications territoriales et sur un système de coopération internationale visant à garantir le développement de la recherche scientifique, le maintien de la paix et l’interdiction de toute activité militaire.

Progressivement, ce traité s’est enrichi de plusieurs conventions.
- La convention sur la protection des phoques de l’Antarctique (CCAS) interdit la chasse de ces animaux (adoption en 1972, entrée en vigueur en 1978) ;
- La convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), adoptée en 1980 (entrée en vigueur en 1982), est chargée d’évaluer et de gérer les ressources halieutiques au nord du 60e parallèle sud, jusque vers 50° de latitude sud ;
- La convention pour la règlementation des activités sur les ressources minérales antarctiques de 1988 n’est jamais entrée en vigueur, car certains états refusaient de la ratifier. Elle a conduit à l’adoption du protocole suivant :
- Le protocole au traité de l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, également appelé Protocole de Madrid, signé en 1991, entré en vigueur en 1998.

Le protocole de Madrid a pour but d’assurer une protection globale de l’environnement sur le continent et les mers qui l’entourent, en en faisant une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». Les activités relatives aux ressources minérales autres que celles menées à des fins scientifiques sont ainsi interdites pendant 50 ans. Ce protocole a été transcrit dans la législation française en 2003, par une loi et un décret d’application.

Six annexes sont associées à ce traité :
- Annexe I : toutes les activités se déroulant dans la zone du traité doivent faire l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement. Si l’impact estimé est considéré comme « mineur ou transitoire », l’activité fait l’objet d’une autorisation délivrée par les TAAF. Si l’impact est plus important, l’étude sera évaluée au niveau international par le Comité de protection de l’environnement.
- Annexe II : elle vise à protéger la faune et la flore locale, via certaines mesures comme la délivrance de permis pour les scientifiques qui travaillent sur ces espèces, et l’interdiction de toute introduction volontaire d’espèces végétales ou animales. Nous y voilà ! Depuis 1994, plus d’expédition en traineau à chiens de possible ! Mais cela veut également dire pas de culture sous serre, pas d’animaux de compagnie, pas de plante verte dans les bases…
- Annexe III : elle interdit tout stockage de déchets produits par une activité humaine en Antarctique. Tous les déchets doivent donc être rapatriés ou éliminés de façon neutre pour l’environnement. Même les vieux déchets laissés par les expéditions précédentes doivent être progressivement retirés… Normal, non ?
- Annexe IV : elle s’occupe de la prévention de la pollution marine.
- Annexe V : elle permet de classer certains secteurs présentant une valeur exceptionnelle (environnementale, scientifique, historique ou esthétique)  « Zones spécialement protégées de l’Antarctique », ou « Zones gérées spéciales de l’Antarctique ». L’accès à ces zones devient réglementé et soumis à autorisation. En terre Adélie, les zones suivantes sont « Zones spécialement protégées de l’Antarctique » depuis 1995 : île Jean Rostand, Le Mauguen, Lamarck, Claude Bernard, le nunatak du Bon Docteur, et le site de reproduction des manchots empereurs.
- Annexe VI : elle décrit le régime de responsabilité en cas d’atteinte portée à l’environnement.

Depuis 2004, on compte 32 états, parties contractantes du Protocole de Madrid.

Et voilà, vous en savez maintenant autant que moi, c’est fini pour la partie histoire !

A bientôt !

4 déc. 2010

Voilà l’été !

Les oiseaux chantent, le soleil brille, les vacances se rapprochent… Pas de doute : voilà l’été !

La mer est au pied de l’île…

Les tonnes de neige tombées à la fin de l’hiver sont en pleine fonte.
Les paysages changent, les congères diminuent de volume, le mélange de neige fondue et de fientes d’Adélie crée des rivières de « boue », qui n’ont rien à voir avec le blanc immaculé qui nous entourait auparavant…

Les températures flirtent maintenant fréquemment avec le 0°C, et le soleil règne en maître. Ça y est, l’heure est venue d’étaler la crème solaire, et de baisser les stores pour se donner une sensation d’obscurité et pouvoir dormir la « nuit ».

Paysage au couchant

Les poussins empereurs sont de plus en plus nombreux à muer. Les plus grands d’entre eux (qui font une vingtaine de kilos) perdent leur duvet dans le bas du ventre et sur le bout des ailerons. Ils font maintenant pratiquement la taille de leurs parents, et il est amusant de les voir les poursuivre en leur demandant de façon insistante de la nourriture… Ils semblent déjà si grands ! Ils ne sont pas encore tout à fait indépendants, mais ça ne saurait tarder…

Une partie de la manchotière est montée sur un berg, puis sur le glacier, à proximité du Nunatak




Les empereurs hésitent parfois à passer à proximité d’un inoffensif phoque de Weddell

Poussin en mue suivant un de ses parents

Côté Adélie, les femelles ont toutes pondu et sont parties se nourrir en mer. Les mâles restent seuls à couver, attendant le retour de leur partenaire. Les premières commencent à rentrer. Cette année, il y a vraiment beaucoup de neige sur l’île. La saison a donc mal commencé pour les Adélie : peu de cailloux disponibles pour faire des nids, nids souvent construits sur de la neige, flaque d’eau au fond des nids, crise du logement pour obtenir de bons nids… Beaucoup n’ont donc pas pondu, ou ont perdu leur œuf très rapidement. Cela me fait franchement mal au cœur de voir certains d’entre eux couver leur œuf situé dans une flaque d’eau, tentative vouée à l’échec… Raté pour cette année, ils devront attendre l’année prochaine pour tenter à nouveau leur chance.

Les Adélie se mélangent parfois aux empereurs sur la banquise

Les petits océanites sont eux aussi nombreux maintenant, et j’ai plaisir à les voir voleter au-dessus des rochers, à la tombée du jour. Leurs cris lancinants font d’eux nos cigales à nous.


Les phoques sont nombreux à s’être rassemblés sur ce qu’il reste de glace autour de l’île des pétrels. Ils passent l’essentiel de leurs journées à faire la sieste… Dure la vie de phoque !



Une petite série de photos sur les skuas maintenant…

Skua à côté d’un mélange de glace et d’eau, la « piscine à skuas »

Trois skuas s’ébattent joyeusement dans la piscine



Deux skuas en train de crier d'un rire bruyant et rauque

Côté people, le deuxième avion est arrivé, amenant deux thésardes de mon programme. Ma charge de travail est ainsi allégée, et c’est très appréciable. Encore de nouvelles têtes, et le retour de têtes connues…

Dans quelques jours, l’Astrolabe partira de Hobart. A l’arrivée de R1, mi-décembre, une petite dizaine des membres de la TA60 quittera l’Ile des Pétrels, et la plupart des membres de la TA61 sera arrivée. Il faut se préparer à bientôt laisser sa place… Le dortoir est réorganisé en conséquence, et les malles commencent à fleurir dans les couloirs. En ce qui me concerne, le départ sera pour R2, aux alentours du 23 janvier.

S’en suivront 4 mois de vadrouille au pays des kangourous, sas de décompression nécessaire avant le retour en métropole.

Le long du continent

Voilà, je me rends compte que je n’ai pas grand-chose à vous raconter aujourd’hui… J’ai l’impression que je vous ai déjà décrit cette période en détail l’année dernière, et que je me répète… Pourtant, bien que les choses naturelles se répètent, mon état d’esprit est très différent.

J’ai plus de recul, je vois les choses de façon moins naïve. Je m’arrête sur des détails qui ne m’auraient pas interpellée l’an passé.

Couple de pétrels des neiges sur leur nid

Idée reçue n°16 : l’Antarctique est divisée en tranches qui appartiennent à différents pays.

Ça n’est pas aussi simple que ça, même si c’est ce que j’ai appris à l’école. Je me souviens que l’on m’avait décrit l’Antarctique comme « un continent divisé en tranches comme un fromage, dont la France possède une part, dans laquelle seuls des chercheurs habitent ». Point. Passage au continent suivant. Tout cela me semblait très mystérieux…

Depuis bientôt un demi-siècle, l’Antarctique n’appartient pourtant à personne. En effet, le traité sur l’Antarctique, signé le 1er décembre 1959 et entré en vigueur le 23 juin 1961, gèle toutes revendications territoriales sur les territoires situés au sud du 60e parallèle Sud. Le succès scientifique et politique de l'Année Géophysique Internationale (du 1er juillet 1957 au 31 décembre 1958), est à l'origine de la signature de ce traité.

A son origine, les pays signataires étaient l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Chili, les États-Unis, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l’URSS (repris par la Russie). Depuis, 46 états ont ratifié ce traité.

L’objectif du traité est de faire de l’Antarctique une « réserve naturelle consacrée à la science et à la paix », un lieu qui ne deviendra pas l’objet de différents internationaux. Seules des activités pacifiques sont donc autorisées en Antarctique. Le traité met en veilleuse les revendications territoriales des pays signataires, mais ne signifie pas pour autant la renonciation d'un État à ses droits ou revendications de souveraineté sur le continent. Ainsi, 7 états sont dits "possessionnés", c'est-à-dire qu'ils revendiquent la possession d'une partie du continent (la Terre Adélie pour la France par exemple).

Le traité règlemente également les activités scientifiques, et permet d’échanger les informations, les données et le personnel scientifiques des pays signataires sur le continent. Un système d’inspection (par le biais d’observateurs qui peuvent se rendre dans toutes les stations en Antarctique) permet de vérifier que les activités humaines sont conformes aux règles édictées par le traité.

Le Traité a ensuite été suivi par plusieurs conventions, dont je vous parlerai la prochaine fois…

Pétrel géant se posant sur l’île Rostang